CHAPITRE III

L'escadre laissa brusquement derrière elle une zone crépusculaire et, sans transition, émergea dans un ciel bleu éblouissant de lumière, d'une lumière identique à celle que prodigue notre soleil en plein été !

Une angoisse née de l'inconnu saisit nos amis à la gorge.

Toutes leurs notions se trouvaient bouleversée par ce passage quasi instantané de la nuit de l'Espace à cette éclatante lumière du jour !

Xung, pour avoir reçu les confidences de Barclay, n'en demeurait pas moins ému, les doigts légèrement crispés sur les commandes.

— Attention à la manœuvre, conseilla Jerry installé à ses côtés.

Avec des gestes précis, les deux hommes manipulèrent divers organes de la console en demi-lune et, pendant quelques secondes, une trépidation inquiétante naquit de la proue à la poupe du vaisseau qui s'auréola fugitivement d'une vive lueur émeraude.

Puis tout redevint normal : l'armada cosmique venait, sans encombre, de passer d'un univers à un autre ! Par la large baie panoramique du bâtiment leader, les passagers, pâles d'émotion, virent défiler rapidement... des nuages légers !

— C'est dingue ! s'exclama Hawkins. Que s'est-il passé ? On se baladait entre les galaxies et nous voilà maintenant... en plein jour, parmi les nuages !

— Nous volons à présent dans une atmosphère, celle d'un autre monde dont nous venons de franchir la frontière...

— Voyons, tenta de raisonner Barbara, désorientée, comment avons-nous pu atteindre subitement l'atmosphère d'une planète alors que nous foncions dans le vide ? Il n'y avait rien dans notre champ visuel, ni soleil ni planète. Alors ?

— Alors, regardez, suggéra calmement Barclay en modifiant insensiblement l'assiette du vaisseau tout en réduisant progressivement sa vitesse.

Un horizon de savane apparut, qui s'étendait à perte de vue et sur laquelle, de loin en loin, se dressaient des bouquets d'arbres étranges qu'éclairait un soleil bleu...

Xung accomplit un immense virage pour revenir à l'endroit où ils avaient émergé dans ce monde déroutant, mais, ce qui arracha un cri de saisissement unanime, ce ne fut pas le paysage insolite, ni le changement de cap, ce fut un Etre qui gisait dans la plaine...

— Une... Une femme ! balbutia Hawkins, la gorge nouée, frappé d'hébétude.

Effectivement, une femme d'une extraordinaire beauté, entièrement nue, gisait dans cette prairie, près d'une source et d'un ruisseau cadrés par l'écran du télévisionneur. Ses cheveux blonds s'étalaient sur l'herbe, dessinaient une auréole autour de son visage bizarrement crispé par une grimace de souffrance. Un agrandissement plus poussé de l'image révéla, sur un écran auxiliaire, des gouttes de sueur perlant à son front.

— Inouï ! murmura Peter Thomson, dans un souffle.

— Les... Les appareils de l'escadre ! cria soudain Barbara en agrippant le bras du commandant. Ils... Ils semblent jaillir du néant... au-dessus du genou de... Mon Dieu, l'affreuse blessure...

La voix lui manqua et tous scrutèrent sur l'écran cette vision hallucinante : des « points » brillants, minuscules, s'échappaient de l'épiderme de cette admirable créature souffrante.

D'abord infimes, ils grossissaient prodigieusement, révélant alors leurs structures massives d'astronefs pour occuper l'écran tout entier et sortir du champ. Déjà, à travers la baie panoramique du vaisseau leader, on pouvait apercevoir les bâtiments trapus et leurs rangées de hublots qui, quelques secondes plus tôt, étaient presque imperceptibles sur l'écran télévisionneur.

Maintenant, Barclay pouvait parler : ses compagnons avaient assisté à l'incroyable transformation « volumétrique » qu'ils avaient subie eux-mêmes sans s'en douter, peu de temps auparavant.

— Nos derniers cosmonefs quittent l'ensemble des galaxies constituant ce que nous avons appelé jusqu'ici notre Univers. En réalité, nos nébuleuses ne sont pas autre chose que les molécules formant la synovie du genou droit de cette magnifique jeune femme... Et celle-ci ignore sans nul doute qu'elle est un UNIVERS VIVANT... Une Femme-Cosmos !

Billy Hawkins déglutit, sidéré :

— Vous... prétendez que nous venons de... de la rotule de cette fille ? Les étoiles, leurs cortèges planétaires, leur assemblage en galaxies, ne seraient que... des atomes contenus dans la matière vivante de... de cet Etre ?

— C'est exactement ça, Billy. Notre Voie Lactée, les constellations et l'ensemble des amas galactiques, tout cela constitue la synovie, la rotule, le sang et, d'une manière plus générale, les cellules du genou de la... Femme-Cosmos. Je l'ai baptisée ainsi puisque son corps, à l'image du nôtre, réunit la totalité des univers de notre cosmogonie.

Même le général Xung, pourtant prévenu, partageait l'ahurissement des passagers, lesquels, en dépit de l'évidence, avaient du mal à assimiler et admettre les explications du chef de la mission d'exploration au-delà de l'Infini.

Les astronefs volaient à présent en formation à quelque 500 « mètres » au-dessus de l'Univers Vivant. Bien évidemment, les termes de « mètre », « kilomètre » ou « heure » n'avaient plus ici leur signification coutumière. Transposées dans un autre continuum spatiotemporel, ces mesures subissaient une « dilatation » correspondant à d'autres paramètres ; aux yeux des Terriens, elles représentaient des systèmes de références commodes pour désigner des proportions familières, mais celles-ci ne correspondaient plus, en fait, à cette réalité nouvelle. Par quel coefficient, ici, les ordres de grandeur devaient-ils être multipliés ?

Une question qui donnait le vertige !

Intégrés à ce nouvel Univers, les vaisseaux cosmiques avaient subi sans dommage la fantastique « dilatation » spatio-temporelle — et, avec eux, leurs passagers — sans que ceux-ci en eussent ressenti le moindre malaise. Ils étaient désormais à l'échelle de la Femme-Cosmos !

Cette dernière, le visage altéré par la douleur, semblait dans un état critique. Parfois, ses doigts se serraient, sa respiration devenait haletante sous l'aiguillon d'un mal lancinant.

— Tu avais raison, Jerry, reconnut le général Xung. Elle souffrait... Elle souffre d'une grave blessure. J'espère que nous pourrons la sauver. Son genou droit porte une plaie profonde et purulente. Tout autour, les chairs sont tuméfiées. Mais avant d'atterrir pour la soigner, la prudence nous commande d'effectuer un survol de ce monde inconnu...

A la suite de l'astronef leader, l'escadre se déploya en triangle, et les appareils, s'éloignant rapidement les uns des autres, amorcèrent un vol circumplanétaire à faible altitude, leurs détecteurs en activation.

Sur l'hémisphère éclairé par le soleil bleu, aussi bien que sur l'hémisphère plongé dans la nuit, aucun signe d'activité urbaine ou industrielle ne fut décelé.

— Pourvu que nous retrouvions l'endroit ! soupira Barbara, avec une certaine candeur.

— Rassurez-vous, sourit Barclay. Nous avons largué un émetteur d'impulsions à proximité de la Femme-Cosmos ; il nous est impossible de nous égarer. Voyez cet œil électronique : son clignotement nous prouve que nous captons bien les ondes émises depuis le sol. Nos récepteurs directionnels transmettent régulièrement ces impulsions à l'ordinateur de bord qui programme automatiquement notre route.

Nicky suivait sur un cadran de contrôle le lent déplacement d'une aiguille lumineuse tendant vers le point zéro.

Après avoir survolé des continents au relief peu marqué et des mers aux flots calmes, l'escadre perdit de l'altitude à l'approche de la savane où ils avaient abandonné la Femme-Cosmos.

Les lourds appareils se posèrent sans heurt sur l'immense étendue herbeuse, en bordure d'une forêt, sur ce monde étrange au biotope parfaitement compatible avec la vie telle qu'elle existe sur la Terre, ainsi que les analyseurs automatiques l'avaient vérifié.

— Le milieu ambiant est tout à fait favorable et nous pouvons sortir sans crainte... Mais nous nous munirons quand même de fulgurants et de paralysateurs, décréta le biologiste.

Ce fut avec un soulagement compréhensible que les équipages prirent pied sur le sol herbeux de la prairie.

Du bâtiment sanitaire débarquèrent le Dr O'Hara, chirurgien, le physiologiste Parker et son assistant, le Dr Widen. Tous trois rejoignirent Barclay et ses amis qui, déjà, marchaient dans la savane.

Le soleil — aveuglant d'une clarté aigue-marine — parait d'une teinte bleutée l'étrange paysage. A la limite de la forêt, de grands arbres couverts de fleurs ocre et de baies violacées balançaient mollement leur feuillage sous une brise légère. L'air embaumait de multiples odeurs, capiteuses mais agréables. Le parfum des fleurs se mêlait aux exhalaisons douces des arbustes bordant un ruisseau dont les eaux limpides couraient à travers la prairie à faible déclivité. De curieux petits animaux — sortes d'ornithorynques « mâtinés » de renard, par leurs oreilles, leur queue et leurs poils roux — s'y désaltéraient tranquillement.

Des galets émergeant de l'eau permirent aux Terriens de passer à gué. Les petites bêtes se dressèrent sur leurs pattes postérieures palmées, considérèrent attentivement les intrus, agitèrent leurs oreilles et, sans plus s'inquiéter, lampèrent de nouveau l'onde fraîche à grands coups d'une langue noirâtre. Quelques-unes, pourtant, firent deux ou trois bonds en jetant un regard prudent à Nicky et Barbara qui s'étaient approchées. Rassurées par l'attitude pacifique de ces « énormes » bipèdes, les bestioles se mirent à croquer les baies d'un arbrisseau voisin.

A dix mètres de là, étendue sur le dos, la Femme-Cosmos remua faiblement. A la vue de ces êtres semblables à elle, ses lèvres laissèrent échapper un gémissement et ses yeux bleus se firent suppliants.

Nicky s'agenouilla près d'elle, souriant avec sympathie, épongeant la sueur de son front, tandis que le Dr Widen se penchait sur le genou de la jeune femme, de cette « entité » charnelle, à la fois Grand Tout et infime mortelle, inexorablement périssable.

A l'aide d'une sonde cannelée, Widen explora la blessure, assez profonde. La jeune inconnue eut une crispation douloureuse, s'agita. Barbara et Nicky durent maintenir sa jambe blessée avec fermeté, tandis que O'Hara palpait le genou, la rotule :

— Nous allons la transporter jusqu'à l'astronef sanitaire. La gangrène n'est pas trop avancée ; nous devrions pouvoir éviter l'amputation.

— L'amputation ! s'écria Barbara. Cela signifierait. .. la fin des mondes puisque notre Univers

— de par la décomposition du membre amputé

— serait voué à la destruction !

— Sans nul doute, admit le Dr Widen. Si nous sauvons la jambe de cette femme, elle guérira et, sa fièvre tombant, ses tissus s'étant régénérés, nos univers reprendront leur équilibre. Car c'est assurément à l'infection, à la purulence de la plaie que nous pouvons attribuer les collisions galactiques qui bouleversent notre Univers.

« Vous le savez, l'agitation des atomes et des molécules — ou mouvement brownien — d'un liquide est fonction de la température de ce liquide. Ici, chez la Femme-Cosmos, la fièvre consécutive à cette plaie provoqua un déséquilibre qui s'est traduit par l'agitation désordonnée des molécules de la synovie — cette humeur qui lubrifie les jointures articulaires — formant l'ensemble de nos univers. Nous sommes en présence d'une hydarthrose, épanchement du liquide séreux avec tuméfaction fluctuante due à un violent choc rotulien, avec lésions méniscales.

Le praticien leva la tête, pour s'adresser au biologiste :

— Au départ, je l'avoue, professeur Barclay, votre... théorie ou hypothèse de la Femme-Cosmos nous paraissait inacceptable et, pour tout dire, aberrante. C'est pourtant vous qui aviez raison. La nature de l'univers, la voici : nous appartenons vraiment au genou de cette jolie fille !

— Et nous sommes sortis de son genou, murmura Hawkins, pensif, comme d'autres, jadis, s'imaginaient sortis de la cuisse de Jupiter !

— A la différence près, sourit Barclay, que par le mot « cuisse », les anciens entendaient euphémiquement « testicules », sous-entendu des « dieux » ou extra-terrestres venus dans un lointain passé conter fleurette aux Terriennes et leur faire de beaux enfants, alors qualifiés de demi-dieux. Mais ceci est une autre histoire...

 

 

A bord de l'astronef sanitaire, sur une table d'opération du bloc chirurgical, la Femme-Cosmos, maintenue immobile par des sangles, allait subir les soins des plus éminents spécialistes terro-bètlyoriens.

En blouse verte à col montant, les cheveux emprisonnés par un calot, munis de gants de caoutchouc lumineux sous la paume et l'ensemble des doigts, les praticiens s'affairaient, entourés d'une équipe chirurgicale attentive à leur moindre consigne.

La jeune femme avait été soumise au préalable à un intense rayonnement microbicide qui, en moins de dix minutes, avait détruit tous les agents pathogènes infectant son genou. Un drainage et une irrigation continue furent assurés. A la suite du curetage, l'horrible plaie parut plus profonde et les chairs furent mises à vif.

— Phase de régénération, ordonna le Dr Widen.

Une assistante amena le bras articulé du régénérateur mitosique, et le Dr Widen en abaissa le cône orientable dont il régla la pointe à une dizaine de centimètres de la plaie. Un halo violet, tremblotant, irradia le genou, se rétrécit, s'étira pour exercer son action sur la totalité de la blessure. Un bourdonnement léger emplit la pièce.

Sous anesthésie, la Femme-Cosmos balbutia des mots incompréhensibles.

Après avoir consulté du regard Parker et O'Hara, le Dr Widen soupira :

— Si l'organisme de cette femme se comporte comme celui d'un être humain terrestre, nous la sauverons...

 

 

Assis ou allongés dans l'herbe, proches de l'astronef leader, Barclay et ses compagnons se relaxaient, méditant sur le sort de la Femme-Cosmos.

Dans l'immense prairie, les cent vaisseaux cosmiques, mastodontes dressés sur leurs étançons d'atterrissage, brillaient au soleil, d'une déroutante lueur bleutée, semblable à un phare géant tamisé par un verre traité à l'oxyde de cobalt.

Barbara Rice s'étira, faisant saillir la pointe de ses seins à travers le fin tissu translucide de son bustier :

— Le silence... Le calme... Des fleurs magnifiques, un ruisselet qui chante dans son lit de galets, cette forêt voisine où volettent des oiseaux... Un vrai paradis... extra-terrestre !

Le reporter Billy Hawkins, allongé sur le côté, le menton dans la main, leva les yeux au ciel, railleur :

— J'aurais dû emporter une blanche et courte tunique, un pipeau ou une flûte de Pan et, avec une couronne de laurier, dans ce paysage bucolique, j'aurais pu jouer les pâtres grecs ! Sacrée Barbara, tu nous avais caché ce petit côté lyrique !

Passant elle aussi au tutoiement, la jeune femme riposta :

— Tu aurais l'air fin, en pâtre grec ! Je te vois davantage en bouffon !

Il haussa les épaules et se renfrogna sous les rires, cependant que Barbara et Peter Thomson échangeaient un sourire assorti d'un long regard. Le jeune officier, étendu près d'elle dans l'herbe haute, coupa une tige terminée par un plumet duveteux et en caressa la joue de la journaliste, le fit glisser le long du cou jusqu'à la naissance des seins. Barbara, sans brusquerie, saisit la main, la repoussa mais la garda dans la sienne en chuchotant du bout des lèvres :

— Voyons, Peter, nous ne sommes pas seuls...

— Je le regrette.

— Moi aussi, avoua-t-elle, sans le moindre complexe. Ce serait vraiment chouette dans ce « paradis ».

Il approcha sa bouche de son oreille, chuinta :

— Il nous faudrait alors trouver des feuilles de vigne.

— Pourquoi ? Vous êtes frileux ? pouffa-t-elle.

Les petits « renards-ornithorynques » qui gambadaient en jetant parfois des grognements, près du ruisseau, se turent brusquement, figés, aux aguets, puis ils détalèrent, bondissant précipitamment dans l'herbe haute et filant entre les piliers télescopiques massifs des astronefs.

Barclay et ses compagnons, intrigués par ce comportement, s'étaient mis debout, sur le qui-vive.

Il y eut un sifflement sec et un bruit mat, suivis d'un juron lancé par Barbara Rice :

— Oh ! Merde ! Ma caméra !

Venue on ne sait d'où, une flèche avait percuté la caméra, brisant son objectif !

— A terre ! ordonna le général Xung, en dégainant son paralysateur, imité par ses compagnons.

A plat ventre dans l'herbe, ils scrutaient la forêt, toute proche, cependant que Barclay examinait curieusement la flèche à pointe de silex.

Une grêle de projectiles identiques s'abattit autour d'eux avec des « tchac » inquiétants.

— Là-bas, dans le bosquet ! chuchota le commandant Thomson, couché près de Barbara et entourant d'un bras ses épaules.

— Balayez les arbres et les buissons avec les paralysateurs ! ordonna le biologiste.

Il enfonça le contacteur du mini-émetteur-récepteur bracelet et alerta les équipages, avant de progresser, en une reptation silencieuse, vers la forêt.

Ils aperçurent bientôt, gisant pêle-mêle parmi les fougères et les racines affleurantes, dix êtres primitifs au faciès grossier, prognathe, barbus, à la longue chevelure hirsute. Des arcs et flèches à pointe de silex s'étalaient sur le sol, autour d'eux.

— Des... hommes « préhistoriques », s'exclama Barbara. Et il a fallu que l'une de leur flèche bousille justement ma caméra !

Billy Hawkins, goguenard et marquant un point sur sa concurrente malchanceuse, filmait la scène qui irait enrichir son reportage.

Musculature puissante, toison abondante, les primitifs étaient nus pour la plupart ; d'autres portaient un pagne coupé dans une peau de bête bizarrement mouchetée.

Aux pieds du plus grand d'entre eux, Jerry Barclay ramassa un os humain, un fémur sculpté. A l'une de ses extrémités figurait un cercle d'où partaient des rayons. Plus bas étaient gravés des animaux sauvages, sortes de loups à cornes et des espèces de chevaux massifs à longs poils. L'autre face montrait, en un dessin malhabile, un homme à la carrure herculéenne entouré d'hommes nettement plus petits.

Hawkins le filma en gros plan :

— Qu'est-ce que c'est, cet os-là, professeur ?

— Un bâton de commandement. Cet hominien doit être le chef de tribu. Lui et les siens peuvent être assimilés à nos ancêtres du Paléolithique moyen — les Néanderthaliens — qui, sur Terre, vivaient à une époque ayant débuté voici une cinquantaine de millénaires.

Il parcourut des yeux les taillis, la forêt et décréta :

— Regagnons l'appareil. D'autres indigènes peuvent surgir. Ce serait un comble d'avoir franchi tout l'Univers pour recevoir ici une flèche à pointe de silex ! Dans une heure, ces hominiens retrouveront l'usage de leurs membres et détaleront comme des lapins pour aller conter leur « incroyable » aventure à leur tribu.

— Et de leur récit naîtra une légende, fit Nicky en ramassant une flèche. Celle des dieux venus du ciel et plongeant dans le sommeil les chasseurs ou guerriers les plus valeureux...

 

 

A bord de l'astronef-sanitaire, l'équipe du Dr Widen surveillait les cadrans de contrôle des diverses consoles entourant la patiente, en particulier l'émission des rayons régénérateurs reconstituant ses cellules lésées.

Un ordinateur intégrait les données enregistrées en permanence qui s'inscrivaient en caractères verdâtres luminescents sur une batterie d'écrans. Des chiffres, des lettres, des symboles défilaient en continu, des voyants clignotaient, des « lignes d'herbes » ondulaient sur les écrans des oscillographes, le tout accompagné d'une étrange musique assourdie de « bip-bip », de « tops » et autres vibrations et signaux sonores électroniques.

Fonctions physiologiques, analyses humorales, métabolisme basai, bio et psycho-réactions, rythme cardiaque, tension artérielle, quarante-huit heures durant, allaient être suivis avec la plus grande minutie par les spécialistes au chevet de la Femme-Cosmos.

Ce délai écoulé, ils pourraient alors valablement se prononcer...

 

 

Dans la mini-salle de bains de la cabine mise à sa disposition, Barbara Rice, son collant argenté et son bustier jetés sur la couchette, prit dans le placard mural une savonnette, s'étonna un peu de la marque Pour un homme, huma son parfum et, le trouvant parfaitement agréable, elle passa sous la douche et se frictionna en chantonnant.

Elle achevait de se sécher lorsqu'on frappa à la porte de la cabine. Drapant ses hanches dans l'ample serviette, les seins nus, elle alla ouvrir.

— Peter !

Elle avisa immédiatement la télécaméra apportée par le commandant Thomson et celui-ci la lui tendit :

— J'ai pris ça dans la réserve du service des transmissions, pour remplacer la vôtre, hors d'usage.

— Peter ! Vous êtes un chou ! fit-elle en lui sautant au cou pour lui coller deux baisers sonores sur les joues.

Ce mouvement un peu brusque fit choir à ses pieds la serviette mal ajustée autour de ses reins et elle se retrouva nue dans les bras du jeune officier qui l'étreignit, chercha ses lèvres... et les trouva d'ailleurs sans difficulté !

Il se baissa, ramassa la serviette et, « au passage », ne put s'empêcher de déposer un baiser sur le ventre plat de la jeune femme, à la naissance de sa toison sombre et bouclée. Barbara caressa ses cheveux en frissonnant et se laissa entraîner vers la couchette.

Thomson admira sa splendide nudité et soupira :

— Dans une heure, nous partons en exploration avec trois appareils afin de survoler les planètes de ce système.

Déçue, elle se mit sur un coude :

— Et vous avez un tas de choses à vérifier, avant le départ, je comprends...

L'officier secoua la tête en dissimulant un sourire :

— Non, j'ai chargé mon second de cette mission... Nous avons donc une heure pour faire... un peu mieux connaissance !

 

 

L'astronef de Barclay décolla, escorté de deux appareils, alors que l'énorme soleil bleu était bas sur l'horizon. Ses rayons rasants projetaient les ombres démesurées des spacionefs de l'escadre restés au sol.

En quelques secondes, les trois vaisseaux traversèrent l'atmosphère planétaire et s'élancèrent dans la nuit de l'espace, leurs multiples détecteurs en activation, l'ordinateur de bord nourri des données recueillies par les sondes spatiales larguées dans ce système, à l'instant même où l'armada avait franchi l'Infini.

Ces sondes automatiques avaient permis de localiser cinq planètes, certaines possédant un ou plusieurs satellites, gravitant autour du soleil bleu.

Les trois vaisseaux cinglaient présentement vers l'un de ces corps célestes, baptisé la « Planète Verte » en raison de sa coloration dominante, et qui possédait trois satellites de grandeurs inégales.

Un halo lumineux attestait de la présence d'une atmosphère que l'une des sondes automatiques avait analysée. Sa composition, extrêmement voisine de celle du monde où avait été découverte la Femme-Cosmos, était donc compatible avec la biologie humaine.

Hawkins et Barbara, à travers le hublot panoramique de la passerelle de commandement, filmaient la sphère verdâtre qui grossissait à vue d'oeil.

— Habitée ou pas habitée ? Les paris sont ouverts, fit Barbara Rice.

— Un écho sur le scope ! lança le général Xung, cependant que les regards convergeaient vers l'écran glauque du radar.

— Voici la réponse à ta question, Barbara, annonça Peter Thomson en désignant sur l'écran du télévisionneur couplé au radar un point lumineux qui augmentait graduellement de volume. Un engin, en provenance de cette planète verte, file droit sur nous !